La maison-mère de Facebook et Instagram use de créativité pour contourner ses propres règles de blocage de nouvelles au Canada. Radio-Canada a pu constater que son nouveau robot conversationnel Meta AI a recours à des sites de médias canadiens pour répondre aux questions des internautes sur l’actualité.
Le journal américain Washington Post rapportait mercredi qu’une simple requête à Meta AI afin de connaître les manchettes du jour avait pour résultat d’offrir une synthèse des grands titres, et ce, même au Canada.
Dans certains cas, l’outil d’intelligence artificielle (IA) a recopié mot pour mot des passages d’articles dans ses réponses, selon ce qu’a rapporté le quotidien américain. Radio-Canada n’a pas été en mesure de reproduire ce scénario en sol canadien. La plupart des requêtes affichaient des sources gouvernementales ou officielles, mais rarement de médias.
Les nouvelles sont bloquées sur les plateformes de Meta depuis le 1er août 2023. Le géant refuse de se plier à la Loi sur les nouvelles en ligne (C-18), adoptée en juin 2023, selon laquelle les géants du web doivent négocier avec les médias canadiens une compensation financière pour l’utilisation de leur contenu.
D’après Meta, les internautes ne consultent pas Facebook et Instagram pour l’actualité, et les médias mettent volontairement leurs contenus sur ses plateformes afin d’élargir leur audience.
Néanmoins, lorsque Radio-Canada a demandé (en anglais) à Meta AI, à partir de l’application de discussions Messenger, de lui fournir les manchettes du jour, l’outil a d’abord offert un aperçu des nouvelles américaines, en citant comme source la chaîne ABC News, avec une adresse URL cliquable. Pourtant, ce site de nouvelles américain devrait être bloqué au Canada sur Facebook et Instagram, selon les règles de Meta.
Les URL en provenance du site ABC News ne devraient pas être accessibles au Canada sur les plateformes de Meta, selon ses propres règles.
Photo : Radio-Canada / Meta AI
Une nouvelle requête, toujours en anglais, et plus spécifique aux actualités canadiennes, a échoué, suggérant de faire une recherche en ligne soi-même afin d’obtenir l’information.
C’est par ailleurs la réponse la plus fréquente qu’offre l’outil d’IA aux questions sur l’actualité : Désolé, je n’ai pas trouvé les derniers titres de l’actualité au Canada. Vous pouvez effectuer une recherche en ligne pour obtenir les informations les plus récentes auprès de sources réputées. Vous trouverez probablement un large éventail d’articles et de manchettes provenant de divers médias canadiens. Essayez et j’espère que vous trouverez ce que vous cherchez
.
Sur un autre téléphone, en posant la question cette fois-ci en français résume-moi l’actualité d’aujourd’hui au Canada, en consultant des sites d’informations crédibles
, Meta AI a fourni une liste de grands titres, avec, entre crochets, les sources CBC News, Global News et Toronto Star.
Meta AI n’a pas voulu fournir d’URL cliquable menant vers les articles des sites de nouvelles cités.
Photo : Radio-Canada / Meta AI
Si aucune adresse URL menant vers des sites canadiens n’était visible, Meta AI affirme toutefois avoir consulté ces sites de nouvelles canadiennes afin de produire ce résumé.
Meta n’a pas seulement recours aux sites de nouvelles pour alimenter son robot conversationnel. Elle utilise également les moteurs de recherche Bing et Google afin de fournir des résumés des manchettes.
Radio-Canada a pu constater qu’en utilisant Meta AI sur l’application de messagerie cryptée WhatsApp, pour lui demander les grands titres du jour, l’outil a tenté une réponse, se référant à Google, à Google News ou encore à Bing.
Les grands titres rapportés par Meta AI ne sont pas d’actualités, induisent en erreur et dans certains cas sont complètement faux.
Photo : Radio-Canada / Meta AI
Google a signé une entente en novembre 2023 avec le gouvernement afin de verser aux médias canadiens un montant de 100 millions de dollars par an, indexé annuellement, afin de continuer à diffuser les sites de nouvelles sur son moteur de recherche. Le géant de l’informatique n’a pas donné suite à des demandes d’entrevue de Radio-Canada.
Lors d’une nouvelle requête à Meta AI, toujours sur WhatsApp, avec la même question sur les manchettes, l’outil commence le travail, en s’appuyant sur Google News, puis suggère cette fois-ci de se rendre sur les sites de nouvelles canadiennes afin d’avoir les informations les plus à jour, citant le Toronto Star, CBC, Global News et CTV News. Ainsi, une requête semblable n’offre pas toujours les mêmes résultats d’une fois à l’autre.
Contourner ses propres règles
Pour Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal (UdeM), il s’agit d’un nouveau stratagème de la part de Meta pour éviter, ou prétendre se conformer à [sa] propre politique de censure des médias canadiens
sur ses plateformes.
D’après lui, Meta News”,”text”:”génère du trafic en allant chercher ces différents éléments d’information, pris sur Google News”}}”>génère du trafic en allant chercher ces différents éléments d’information, pris sur Google News
, par exemple.
Ça n’est pas arrivé là par magie. Ça a d’abord été produit par les médias traditionnels. Meta [accapare] la valeur de l’information validée
, insiste-t-il.
C’est un bel exemple, où ils utilisent ces nouvelles façons détournées pour produire des revenus. Meta prouve une fois de plus qu’elle a besoin des médias pour générer de la valeur.
Le spécialiste en droits des médias voit en cette méthode une preuve de plus que le projet de loi C-18 a visé juste : les entreprises ont beaucoup de mal à fonctionner sans s’alimenter à des nouvelles produites par des organisations de presse
.
Pierre Trudel est spécialiste en droits des médias et professeur à l’Université de Montréal. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada/La Facture
Pour entraîner son modèle de langage Llama 3, sur lequel repose Meta AI, Meta dit avoir utilisé, entre autres, des informations accessibles publiquement en ligne.
Contacté par Radio-Canada, le géant affirme être conforme à la Loi sur les nouvelles en ligne
.
Au Canada, Meta AI puise ses réponses dans des ressources sur le web qui ne sont pas restreintes par cette loi, et fournit les sources de ces résultats à travers nos partenaires, des moteurs de recherche.
Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), rappelle que la Loi sur les nouvelles en ligne ne traite pas du moissonnage de données sur Internet
. Par ailleurs, plusieurs médias canadiens ne bloquent pas les robots d’indexation (web crawler) de Meta ni d’autres entreprises d’intelligence artificielle sur leur site, ce qui leur permet d’y soutirer ces données.
Dire qu’ils ne violent pas la loi, c’est hors sujet. [La loi] parle des contenus de nouvelles sur les plateformes de réseaux sociaux. Elle n’est pas en cause du tout ici
, martèle-t-il.
Ça contredit leur discours [voulant] que les contenus d’informations sont sans valeur.
Les médias auraient-ils tout intérêt à signer des ententes avec Meta AI, comme le font actuellement plusieurs organes de presse avec OpenAI? Pierre Trudel est dubitatif. IA, en utilisant et allant chercher des informations [reconditionnées], plus les médias vont être perdants.”,”text”:”Une fois que les entreprises de presse sont embarquées dans ces ententes, elles sont un peu piégées. Elles perdent le contrôle de leur contenu. Plus les usagers vont s’informer par le truchement des plateformes d’IA, en utilisant et allant chercher des informations [reconditionnées], plus les médias vont être perdants.”}}”>Une fois que les entreprises de presse sont embarquées dans ces ententes, elles sont un peu piégées. Elles perdent le contrôle de leur contenu. Plus les usagers vont s’informer par le truchement des plateformes d’IA, en utilisant et allant chercher des informations [reconditionnées], plus les médias vont être perdants.
Un porte-parole de Meta ajoute que l’entreprise continuera à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la Loi sur les nouvelles en ligne. Elle s’engage également à examiner les exemples cités dans l’article.
Avec les informations de Washington Post