Aux grands maux les grands remèdes : pour lutter contre la crise du logement, le gouvernement Legault propose d’imposer un moratoire de trois ans sur les évictions.
Le projet de loi 65 de la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a été déposé mercredi à l’Assemblée nationale.
Une éviction ou encore une menace d’éviction, ça cause un stress immense, et on souhaite éviter à un maximum de Québécois de se retrouver dans une telle situation, considérant le peu d’alternatives à leur disposition présentement
, a expliqué Mme Duranceau en conférence de presse.
En contexte de crise, le fait de perdre son logement peut avoir des conséquences immenses qui peuvent aller jusqu’à l’itinérance
, a-t-elle ajouté.
Le reportage de Mathieu Papillon
Intitulée « Loi limitant le droit d’éviction des locateurs et renforçant la protection des locataires aînés », la pièce législative entrerait en vigueur dès son adoption par le Parlement. Et le gouvernement aimerait procéder rapidement à celle-ci.
Aussitôt le projet de loi déposé, le leader parlementaire de la Coalition avenir Québec (CAQ), Simon Jolin-Barrette, a émis le souhait qu’il soit adopté d’ici la fin de la session, qui devrait théoriquement se terminer dans deux semaines, le vendredi 7 juin.
Le Parti libéral du Québec (PLQ) s’est réservé le droit de demander des consultations particulières, ce qui aurait pour effet de prolonger l’étude du texte législatif.
Québec solidaire (QS), de son côté, s’est montré ouvert à une adoption plus rapide, à condition que le contenu du projet de loi lui convienne. Ses députés se sont d’ailleurs levés lorsque la ministre Duranceau a procédé à son dépôt, juste avant la période des questions au Salon bleu.
Entrevue avec la ministre France-Élaine Duranceau
Si le projet de loi est adopté d’ici deux semaines, le moratoire que propose la CAQ s’étendra jusqu’en juin 2027.
Celui-ci prendra fin plus tôt si le taux d’inoccupation des logements locatifs publié par la SCHL pour l’ensemble des centres urbains du Québec dont la population est d’au moins 10 000 habitants atteint 3 %, peut-on lire dans la pièce législative.
Le taux actuel est toutefois bien loin des 3 %, un seuil qu’il n’a pas dépassé depuis 2017. Il se situait l’an dernier à 1,3 %.
Entre-temps, les évictions à des fins de changement d’affectation, de subdivision et d’agrandissement de logements
seront interdites sur tout le territoire du Québec, sauf exception, le gouvernement s’étant réservé la possibilité de soustraire toute partie du territoire du Québec de l’application [de la mesure]
.
Les propriétaires d’immeubles conserveront également le droit de procéder à des reprises de logement pour y vivre eux-mêmes ou pour y installer un proche.
Nos Mordus de politique se prononcent sur le projet de loi 65.
Le projet de loi 65 propose en outre d’élargir la « loi Françoise David » de 2016 en faisant passer de 70 à 65 ans l’âge minimum des locataires à faible revenu protégés des évictions et des reprises de logement, une demande de longue date de QS.
Cela dit, la protection continuerait de s’appliquer uniquement aux aînés qui habitent leur logement depuis au moins 10 ans, alors que les solidaires souhaitaient ramener ce seuil à 5 ans.
Le projet de loi 65 de la ministre Duranceau a été déposé mercredi matin, à deux semaines de la fin de la session parlementaire.
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
Avec son projet de loi 198, qui avait été appelé par le gouvernement avant que la CAQ décide de déposer sa propre pièce législative, QS proposait aussi que le revenu maximal des aînés protégés soit grandement revu à la hausse. Mais la ministre a finalement opté pour une augmentation moins élevée.
À l’heure actuelle, le Code civil prévoit que seul un aîné dont le revenu est égal ou inférieur au revenu maximal lui permettant d’être admissible à un logement à loyer modique
est protégé par la loi.
QS voulait revoir cette disposition pour qu’elle s’applique aux personnes dont le revenu est %”,”text”:”égal ou inférieur au montant équivalent à 150%”}}”>égal ou inférieur au montant équivalent à 150 %
du revenu maximal admissible. La CAQ a finalement coupé la poire en deux, à 125 %. Pour une personne vivant seule ou en couple, le plafond passerait donc de 38 000 $ à 47 500 $.
Les deux mesures annoncées mercredi par la ministre Duranceau – le moratoire sur les évictions et l’élargissement de la « loi Françoise David » – s’appliqueront aux processus d’éviction et de reprise de logement en cours
si le projet de loi est adopté. D’où l’empressement de la CAQ à faire voter celui-ci d’ici le 7 juin.
Fortement critiquée depuis sa nomination à titre de ministre, France-Élaine Duranceau a récemment admis en entrevue à Radio-Canada qu’elle avait manqué d’empathie depuis le début de son mandat, assurant que son implication était sincère et qu’elle ne se « [foutait] pas du monde ».
Mme Duranceau a fait adopter en février le projet de loi 31, qui a modifié diverses dispositions législatives en matière d’habitation. Le texte, cela dit, a rencontré beaucoup de résistance, notamment en raison des changements relatifs aux cessions de bail, que les propriétaires peuvent maintenant refuser sans motif sérieux.
L’opposition avait également profité de l’étude du projet de loi pour réclamer de la ministre qu’elle protège davantage les aînés des évictions, mais les amendements proposés à cet effet avaient tous été rejetés.
En mêlée de presse, mercredi matin, Mme Duranceau a expliqué ce changement de cap en disant que les mesures de la loi 31 prendront un certain temps avant de faire effet et de mieux protéger les locataires. Le gouvernement estime aussi que l’arrivée importante d’immigrants temporaires fait pression sur le marché locatif.
31, il n’y a pas de logements où aller, alors là, la mesure, elle vient mettre une pause, un temps d’arrêt, le temps que les logements se construisent”,”text”:”Bien que les locataires soient mieux protégés depuis la loi31, il n’y a pas de logements où aller, alors là, la mesure, elle vient mettre une pause, un temps d’arrêt, le temps que les logements se construisent”}}”>Bien que les locataires soient mieux protégés depuis la loi 31, il n’y a pas de logements où aller, alors là, la mesure, elle vient mettre une pause, un temps d’arrêt, le temps que les logements se construisent
, a résumé la ministre.
En entrevue à l’émission Midi info, sur ICI Première, le porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) Cédric Dussault s’est réjoui de voir que les évictions seront interdites à moins que le taux d’inoccupation dépasse les 3 %.
Il a cependant aussi insisté sur le fait qu’il faudra en faire plus
pour freiner l’épidémie d’évictions à laquelle on assiste
.
Le principal problème, au Québec, c’est que la majorité des évictions et des reprises de logements se font de façon frauduleuse, a-t-il expliqué. Donc il faut aussi s’attaquer à tout ce qui est en dehors du contrôle législatif, tout ce qui ne passe pas nécessairement par le Tribunal administratif du logement
.
Certains propriétaires, par exemple, n’hésitent pas à demander à leurs locataires de quitter leur logement pour rénover celui-ci – un stratagème aussi appelé « rénoviction » – ou à leur réclamer une augmentation de loyer substantielle une fois les travaux terminés.
Or, ça ne fonctionne pas comme ça
, a rappelé M. Dussault, mercredi, répétant que, même pour des travaux majeurs, les locataires ont le droit au maintien dans les lieux
.
Avec les informations de Sébastien Bovet et de Mathieu Gohier